Témoignage : Rachelina Rotondo

Rachelina Rotondo a quitté l’Italie à l’âge de 14 ans pour venir en Belgique. Voici le récit de son voyage. 

  • Pour quelle(s) raison(s) avez-vous immigré vers la Belgique en 1953 ?

Tout d’abord, je suis arrivée en Belgique à l’âge de 14 ans. Mon papa était déjà là-bas depuis 5 ans car il travaillait au charbonnage pour subvenir au besoin de sa famille; envoyant de l’argent par mandats postaux. Gagnant une misère à travailler dans les champs (il gardait les moutons), il a donc décidé d’aller tenter sa chance en Belgique qui était justement en pleine “révolution industrielle”. Pour ma part, je ne me voyais pas paysanne. Un jour, mon papa nous a contacté en nous disant (à ma sœur et à moi) de venir en Belgique, que les conditions de vie y étaient meilleures. Désireuse d’avoir une bonne éducation et un bon niveau scolaire, j’ai dis “OUI” tout de suite. Ma maman décédée quelques années auparavant, mon papa et ma sœur était la « seule vraie famille proche » qu’il me restait. Celle-ci a décidé de rester en Italie avec notre tante, refusant de quitter son pays natal car elle ne voyait pas son avenir ailleurs qu’en Italie.

  • D’où êtes-vous partie pour prendre votre transport vers “une vie meilleure” ?

J’ai pris le train à Foggia (sud de l’Italie) pour arriver, après un jour de train, à Milan. Là-bas, nous y avons passé deux nuits en attendant la correspondance pour la Belgique. Nous étions “entassés” dans une caserne militaire où nous avions du lait chaud et des sandwichs. Dans la caserne, on pouvait voir tant des visages heureux que septiques ou bien tristes de quitter l’Italie pour une durée indéterminée… Après ces deux jours, on nous a conduis à la gare de Milan. Deux jours plus tard, notre train, qui faisait toutes les escales à partir de “Charleroi”, s’est arrêté en gare de Boussu. Mon voyage de cinq jours prenait fin (14 décembre 1953 au 18 décembre 1953) vers 10-11h du matin. Quelques instant plus tard, je découvrais ma nouvelle maison à la « rue de Boussu » (Dour) avant de finir à Boussu-Bois une fois mariée.

  • Comment étaient les conditions de voyage en train ?

C’était un train prévu uniquement pour toutes les familles qui avaient immigrées en Belgique. C’était donc un train spécial. Les banquettes étaient en bois et les places nominatives. Tout le monde avait sa place désignée à l’avance. Il faisait très chaud dans le train. Sinon, les conditions n’étaient pas si mauvaises que ça. A la caserne, avant le départ, ils nous avaient donné des tartines et de l’eau pour le voyage en train car il ne comprenait pas restauration. Je me souviens également que les contrôles d’identités étaient intensifs tant au départ de Milan qu’à l’arrivée en Belgique.

  • Quels sont les changements majeurs que vous avez pu observer dés votre arrivée en Belgique ?

C’était bien différent, ça oui, je m’en souviens. Déjà le temps ! Je n’avais jamais quitté l’Italie auparavant et du jour au lendemain, je suis passée du chaud au froid : c’était angoissant. L’adaptation ensuite : les mentalités italiennes et belges, de l’époque, n’étaient pas pareilles. En Italie, on s’entraidait tandis qu’en Belgique, on se méfiait des étrangers (ce qui est toujours le cas cela dit). L’architecture était aussi très différente car on vivait (en Belgique) dans des petites maisons appelées corons ; presque tout les italiens vivaient dans le même quartier. A Foggia (mon quartier natal), on avait notre propre maison, pas beaucoup plus grande mais plus conviviale, plus colorée aussi, dans une petite rue. Petite anecdote, en Italie, on allait chercher l’eau au puit tandis qu’à mon arrivée en Belgique, j’ai découvert pour la première fois l’eau courante. Mais j’ai également découvert pour la première fois les charbonnages. Ces châssis à molettes majestueux qui se dressaient devant nous et où papa descendait travailler cinq jours sur sept et plus de douze heures par jour. Je ne le voyais donc quasiment jamais (il travailla treize ans au charbonnage). Il travaillait de nuit donc, quand je me levais, il allait dormir.  Pour cette raison, j’ai été habiter avec une amie de la famille pendant un moment, ce qui m’a énormément fait progresser en français…

  • Justement, les problèmes de langues n’ont-ils pas été un frein à votre intégration ?

Un peu quand même. A mon arrivée, je ne parlais pas un mot de français. Je parlais italien avec mon papa mais en dehors, je ne savais pas communiquer (sauf avec les autres familles italiennes, venues pour travailler). Pendant un an, j’écoutais beaucoup les conversations en français et une amie de la famille achetait le journal « Le Soir ». Je le lisais tout les jours et le vocabulaire est entré petit à petit dans mon esprit. J’avais toujours un dictionnaire à côté de moi et, chaque mot incompris, je le recherchais. Après un peu plus d’un an, j’étais bilingue. Je pense d’ailleurs que c’est grâce à ça que j’ai toujours aimé l’école : secondaire, mes études de dactylo, … et maintenant, je continue l’école de couture. Je suis toujours avide d’en apprendre de plus en plus. 

 

  • Le retour au pays a-t-il été envisagé après la travail de votre papa au sein des charbonnages belges ?

Non ! Il n’en était pas question. Au début, j’avoue y avoir songé car j’étais toujours toute seule, ici, en Belgique mais après, j’ai suivis des cours normalement et je me suis faites des amis (dont ma voisine avec qui j’ai plus de 60 ans d’amitiés). Et ensuite, j’ai rencontré mon mari. A ce moment là, il n’était plus question pour moi de retourner vivre en Italie. Ma vie était en Belgique à présent. Même mon papa a voulu rester par ici car, d’une part, sa femme était décédée, et d’autre part, ma sœur voulait absolument rester en Italie avec son mari et notre grand-mère, ce qu’elle fit. Il avait également créer des liens forts avec la Belgique et, après avoir fait trois guerres (WW1, WW2 et guerre d’Espagne) ainsi qu’avoir travaillé un bon moment dans les mine, il méritait bien un peu de repos dans un pays « stable ». Néanmoins, nous sommes retournés en Italie (pour rendre visite/vacances) uniquement 5 ans plus tard ; en 1958.

 

  • Les méfiances envers les italiens n’ont-ils pas été trop important au vue des politiques de l’époque et du climat d’hostilité post WW2 ?

Si quand même ! Au vue des relations antérieures de Mussolini et Hitler, les gens étaient assez méfiants envers les italiens, allant même jusqu’à confondre « Italiens » et « Fascistes ». On pouvait retrouver cette méfiance dans les marchés, les cafés ou bien encore les magasins de l’époque. On n’accordait pas une confiance absolue aux immigrés italiens. Une anecdote « drôle », si on peut dire, s’est déroulée la première semaine où je suis arrivée. En Italie, on met le sucre entier dans le café tandis qu’en Belgique, comme c’était tout de suite après la guerre, ils coupaient les morceaux de sucre en huit morceaux. Pour moi, un morceau n’était pas assez alors j’en prenais plusieurs et j’ai été traitée de voleuse. Heureusement, mon papa a expliqué calmement et le malentendu s’est dissipé (à cause des restrictions alimentaires post WW2).

  • Pensez-vous avoir fait le bon choix en venant en Belgique après vos nombreuses années passées ici ? N’éprouvez-vous aucun regret à ce propos ?

Oui, le choix était le bon. Je peux le dire maintenant car si j’étais resté en Italie, je ne serai pas comme je suis actuellement. J’aurai probablement éprouvé des regrets et/ou aurai été malheureuse. Je n’aurai pas pu continuer l’école et ça m’aurai, je le sais, beaucoup fait souffrir (surtout que je voulais être infirmière mais papa n’a pas voulu). Je n’ai pas de regrets sur les choix que j’ai fait à l’époque, bien au contraire. C’est une chance exceptionnelle qui m’a été offerte à l’époque et comme beaucoup d’autres, je l’ai saisie.

Interview réalisée par Jeremy Harvengt

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