Témoignages

Interview : Loan Stan

Loan est venu s’installer en Belgique pendant les années 1990. Même si son pays lui manque parfois, il est heureux d’avoir fait sa vie ici.

  • D’où venez-vous et en quelle année êtes-vous arrivé en Belgique ?

Je viens de Roumanie et je suis arrivé en Belgique dans les années 90.

  • Pourquoi avez-vous quitté votre pays ?

Pour avoir une « meilleure vie » : avoir un bon travail, et je l’avoue, gagner mieux ma vie.

  • Pourquoi êtes-vous venu en Belgique spécifiquement ?

Grâce à une connaissance qui travaillait déjà depuis quelques années dans le pays. Elle a su m’indiquer où travailler à mon arrivée et comme cela, je n’étais pas totalement seul. J’avais quelqu’un comme point de repère, je ne partais pas « sans rien ».

  • Comment s’est déroulé votre voyage ?

Ce fut très difficile ; à l’époque la Roumanie ne faisait pas encore partie de l’Union Européenne, j’avais donc besoin d’un visa. Mais ce visa était difficile à obtenir, les papiers en général étaient compliqués à obtenir. Sans doute pour nous dissuader de partir. Mais grâce à mon ami qui vivait en Belgique, j’ai enfin réussi à avoir un visa de vacances.

  • Quelle a été la réaction de votre famille restée là-bas quand vous avez décidé de partir ? La réaction de votre famille venue avec vous ?

Comme au début je suis venu seul, je vous cache pas que ça a été difficile pour ma femme de me voir partir à l’inconnu et la laisser seule avec notre fille. Ma fille, elle, était trop jeune pour vraiment comprendre que je partais. Elle ne comprenait pas ce qu’il se passait à ce moment-là. Mais je rassurais tout le monde ; après tout ce n’était que temporaire comme séparation. Et de fait, quelques années plus tard je suis revenu. Depuis, je passe quelques vacances en Roumanie, pour souffler un peu, voir ma famille, etc.

  • Comment se sont déroulés vos premiers mois en Belgique ?

Ce fut vraiment très dur ! Il y avait d’une part le barrage de la langue ; je ne parlais que roumain, d’autre part je n’étais pas vraiment en règle au niveau de mes papiers au bout d’un certain temps. Il fallait se cacher tout le temps, faire attention à ce qu’on ne me renvoie pas en Roumanie. C’était fatiguant et vraiment dur émotionnellement. Mais maintenant tout va pour le mieux, je suis en règle et je me sens bien ici.

  • Regrettez-vous votre choix ? Pourquoi ?

Absolument pas. J’ai finalement réussi à m’intégrer. Je travaille, je suis en ordre de papiers. Et mieux encore, ma femme et ma fille sont venues me rejoindre il y a quelques années. Elles se sont rapidement intégrées.

  • Envisageriez-vous de retourner dans votre pays d’origine ? Pour quelle(s) raison(s) ?

Sans doute un jour. J’envisage de revenir sur ma terre d’origine, car après tout, c’est là que sont mes racines. J’aimerais aussi passer mes vieux jours auprès de ma famille, pouvoir profiter d’eux et ne pas passer toute ma vie loin d’eux.

Interview réalisée par Clémentine Mestdagh 


Témoignage: SAÏD IBRAHIMA

Originaire des Comores, Saïd Ibrahima a décidé de rejoindre la France en 1983. Pourquoi ? Comment ? Ils nous explique ses raisons.

  • Quel est votre pays et en quelle année avez-vous rejoint la France ?

Je suis originaire d’une petite ville aux Comores, sur le continent Africain. Je suis arrivé en France au mois de février 1983.

  • Pour quelle(s) raison(s) avez-vous quitté votre pays d’origine ?

Je ne voyais pas ma vie là-bas, tout simplement. Je voyais tant d’avenir hors des frontières africaines : la liberté d’opinion, le travail, etc. A l’époque, je ne savais pas encore exactement où je voulais aller mais depuis l’indépendance du pays et les accords avec le peuple français, cela m’a semblé une bonne chose d’aller voir ce qu’il se passait chez nos anciens colonisateurs.

  • Pour quelle(s) raison(s) avez-vous choisi la France ?

Comme je vous ai précédemment dit, l’île des Comores a été colonisée par la France (de 1912 à 1946). Après de nombreux accords passés entre nos pays, il a fallu attendre l’indépendance de celui-ci en 1975. Je me sentais donc, d’une manière ou d’une autre, affilié à ce grand pays.

  • Quel(s) moyen(s) de transport avez-vous utilisé(s) pour rejoindre la France ?

 J’ai pris l’avion pour la première fois de ma vie. J’avais très peur, non seulement de ce moyen de transport majestueux mais également de la destination. En tant qu’ancienne colonie française, j’avais très peur que les gens nous considèrent encore comme des esclaves, mais il n’en fut rien.

  • Quel souvenir gardez-vous de ce voyage ?

En un mot ? Long. Je ne sais plus exactement vous dire combien de temps cela a pris mais plusieurs jours si je me souviens bien. Beaucoup de Grand-Comoriens (habitant de l’île) sont partis avec moi. On était très nombreux dans l’avion et l’atmosphère était lourde. Voir tous ces visages tristes ou heureux de quitter le pays en quête d’espoir, c’était déchirant.

  • Comment se sont déroulés vos premiers mois en France ?

L’adaptation a été très difficile. Tout d’abord, je ne parlais pas français mais je parlais le Comorien (mélange entre l’arabe, le français et le swahéli). Pendant quelques temps, je n’arrivais pas du tout à me faire comprendre. C’est donc sur les bancs de l’école que j’ai appris à parler correctement le français et enfin à m’exprimer comme il se doit. Puis, niveau temps, j’ai dû m’habituer. Avec une température avoisinant les 30-40 degrés au Comores, je suis arrivé en France sous une petite dizaine de degrés. La confrontation au froid a surement été une des choses les plus difficiles à gérer. Après tout ça, je me suis assez vite intégré dans le paysage français mais, je ne vais pas le nier, mon pays me manquait énormément. Pendant les premiers mois, je me demandais tous les soirs : « Pourquoi suis-je parti de ce pays ? Suis-je stupide ? ».

  • Avez-vous déjà envisagé de retourner dans votre pays d’origine ? Pourquoi ?

Bien sûr que oui, quelle question ! Je me suis assez vite rendu compte qu’il n’y avait pas de place pour les étrangers sur le marché du travail à l’époque. J’ai dû me battre pour trouver un boulot, un logement, … J’ai dû gagner la confiance du pays pour prouver que j’étais parti pour de bonnes et évidentes raisons : un avenir meilleur. Actuellement, je trouve que tout cela était quand même une perte de temps compte tenu du climat actuel (chômage, attentats, …). Si tous les immigrés (tel que moi) étaient venus pour de bonnes raisons, on ne parlerait pas autant d’immigration et le monde serait moins xénophobe. Le regard des gens sur les étrangers actuellement, voilà mon seul et unique regret.

Interview réalisée par Jeanne Delmotte


Témoignage : Rachelina Rotondo

Rachelina Rotondo a quitté l’Italie à l’âge de 14 ans pour venir en Belgique. Voici le récit de son voyage. 

  • Pour quelle(s) raison(s) avez-vous immigré vers la Belgique en 1953 ?

Tout d’abord, je suis arrivée en Belgique à l’âge de 14 ans. Mon papa était déjà là-bas depuis 5 ans car il travaillait au charbonnage pour subvenir au besoin de sa famille; envoyant de l’argent par mandats postaux. Gagnant une misère à travailler dans les champs (il gardait les moutons), il a donc décidé d’aller tenter sa chance en Belgique qui était justement en pleine “révolution industrielle”. Pour ma part, je ne me voyais pas paysanne. Un jour, mon papa nous a contacté en nous disant (à ma sœur et à moi) de venir en Belgique, que les conditions de vie y étaient meilleures. Désireuse d’avoir une bonne éducation et un bon niveau scolaire, j’ai dis “OUI” tout de suite. Ma maman décédée quelques années auparavant, mon papa et ma sœur était la « seule vraie famille proche » qu’il me restait. Celle-ci a décidé de rester en Italie avec notre tante, refusant de quitter son pays natal car elle ne voyait pas son avenir ailleurs qu’en Italie.

  • D’où êtes-vous partie pour prendre votre transport vers “une vie meilleure” ?

J’ai pris le train à Foggia (sud de l’Italie) pour arriver, après un jour de train, à Milan. Là-bas, nous y avons passé deux nuits en attendant la correspondance pour la Belgique. Nous étions “entassés” dans une caserne militaire où nous avions du lait chaud et des sandwichs. Dans la caserne, on pouvait voir tant des visages heureux que septiques ou bien tristes de quitter l’Italie pour une durée indéterminée… Après ces deux jours, on nous a conduit à la gare de Milan. Deux jours plus tard, notre train, qui faisait toutes les escales à partir de “Charleroi”, s’est arrêté en gare de Boussu. Mon voyage de cinq jours prenait fin (14 décembre 1953 au 18 décembre 1953) vers 10-11h du matin. Quelques instant plus tard, je découvrais ma nouvelle maison à la « rue de Boussu » (Dour) avant de finir à Boussu-Bois une fois mariée.

  • Comment étaient les conditions de voyage en train ?

C’était un train prévu uniquement pour toutes les familles qui avaient immigrées en Belgique. C’était donc un train spécial. Les banquettes étaient en bois et les places nominatives. Tout le monde avait sa place désignée à l’avance. Il faisait très chaud dans le train. Sinon, les conditions n’étaient pas si mauvaises que ça. A la caserne, avant le départ, ils nous avaient donné des tartines et de l’eau pour le voyage en train car il ne comprenait pas restauration. Je me souviens également que les contrôles d’identités étaient intensifs tant au départ de Milan qu’à l’arrivée en Belgique.

  • Quels sont les changements majeurs que vous avez pu observer dés votre arrivée en Belgique ?

C’était bien différent, ça oui, je m’en souviens. Déjà le temps ! Je n’avais jamais quitté l’Italie auparavant et du jour au lendemain, je suis passée du chaud au froid : c’était angoissant. L’adaptation ensuite : les mentalités italiennes et belges, de l’époque, n’étaient pas pareilles. En Italie, on s’entraidait tandis qu’en Belgique, on se méfiait des étrangers (ce qui est toujours le cas cela dit). L’architecture était aussi très différente car on vivait (en Belgique) dans des petites maisons appelées corons ; presque tout les italiens vivaient dans le même quartier. A Foggia (mon quartier natal), on avait notre propre maison, pas beaucoup plus grande mais plus conviviale, plus colorée aussi, dans une petite rue. Petite anecdote, en Italie, on allait chercher l’eau au puit tandis qu’à mon arrivée en Belgique, j’ai découvert pour la première fois l’eau courante. Mais j’ai également découvert pour la première fois les charbonnages. Ces châssis à molettes majestueux qui se dressaient devant nous et où papa descendait travailler cinq jours sur sept et plus de douze heures par jour. Je ne le voyais donc quasiment jamais (il travailla treize ans au charbonnage). Il travaillait de nuit donc, quand je me levais, il allait dormir.  Pour cette raison, j’ai été habiter avec une amie de la famille pendant un moment, ce qui m’a énormément fait progresser en français…

  • Justement, les problèmes de langues n’ont-ils pas été un frein à votre intégration ?

Un peu quand même. A mon arrivée, je ne parlais pas un mot de français. Je parlais italien avec mon papa mais en dehors, je ne savais pas communiquer (sauf avec les autres familles italiennes, venues pour travailler). Pendant un an, j’écoutais beaucoup les conversations en français et une amie de la famille achetait le journal « Le Soir ». Je le lisais tous les jours et le vocabulaire est entré petit à petit dans mon esprit. J’avais toujours un dictionnaire à côté de moi et, chaque mot incompris, je le recherchais. Après un peu plus d’un an, j’étais bilingue. Je pense d’ailleurs que c’est grâce à ça que j’ai toujours aimé l’école : secondaire, mes études de dactylo, … et maintenant, je continue l’école de couture. Je suis toujours avide d’en apprendre de plus en plus. 

  • Le retour au pays a-t-il été envisagé après le travail de votre papa au sein des charbonnages belges ?

Non ! Il n’en était pas question. Au début, j’avoue y avoir songé car j’étais toujours toute seule, ici, en Belgique mais après, j’ai suivis des cours normalement et je me suis fait des amis (dont ma voisine avec qui j’ai plus de 60 ans d’amitié). Et ensuite, j’ai rencontré mon mari. A ce moment là, il n’était plus question pour moi de retourner vivre en Italie. Ma vie était en Belgique à présent. Même mon papa a voulu rester par ici car, d’une part, sa femme était décédée, et d’autre part, ma sœur voulait absolument rester en Italie avec son mari et notre grand-mère, ce qu’elle fit. Il avait également créé des liens forts avec la Belgique et, après avoir fait trois guerres (WW1, WW2 et guerre d’Espagne) ainsi qu’avoir travaillé un bon moment dans les mines, il méritait bien un peu de repos dans un pays « stable ». Néanmoins, nous sommes retournés en Italie (pour rendre visite/vacances) uniquement 5 ans plus tard ; en 1958.

  • Les méfiances envers les italiens n’ont-elles pas été trop importantes au vue des politiques de l’époque et du climat d’hostilité post WW2 ?

Si quand même ! Au vue des relations antérieures de Mussolini et Hitler, les gens étaient assez méfiants envers les italiens, allant même jusqu’à confondre « Italiens » et « Fascistes ». On pouvait retrouver cette méfiance dans les marchés, les cafés ou bien encore les magasins de l’époque. On n’accordait pas une confiance absolue aux immigrés italiens. Une anecdote « drôle », si on peut dire, s’est déroulée la première semaine où je suis arrivée. En Italie, on met le sucre entier dans le café tandis qu’en Belgique, comme c’était tout de suite après la guerre, ils coupaient les morceaux de sucre en huit morceaux. Pour moi, un morceau n’était pas assez alors j’en prenais plusieurs et j’ai été traitée de voleuse. Heureusement, mon papa a expliqué calmement et le malentendu s’est dissipé (à cause des restrictions alimentaires post WW2).

  • Pensez-vous avoir fait le bon choix en venant en Belgique après vos nombreuses années passées ici ? N’éprouvez-vous aucun regret à ce propos ?

Oui, le choix était le bon. Je peux le dire maintenant car si j’étais restée en Italie, je ne serais pas comme je suis actuellement. J’aurais probablement éprouvé des regrets et/ou aurais été malheureuse. Je n’aurais pas pu continuer l’école et ça m’aurait, je le sais, beaucoup fait souffrir (surtout que je voulais être infirmière mais papa n’a pas voulu). Je n’ai pas de regret sur les choix que j’ai fait à l’époque, bien au contraire. C’est une chance exceptionnelle qui m’a été offerte à l’époque et comme beaucoup d’autres, je l’ai saisie.

Interview réalisée par Jeremy Harvengt